VIVE LE DESORDRE!

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Le « bordel » est souvent synonyme de désorganisation, de manque de rigueur, de manque de concentration, de je-m’en-foutisme. « Vivre dans une maison ordonnée influe de manière positive sur tous les autres aspects de votre vie », explique-t-on au Japon…..Car il existe bien une norme qui nous pousse à ranger.

Nous succombons souvent à la tentation d’une approche organisée alors que nous serions mieux inspirés d’ouvrir grand les bras à un certain degré de désordre. Voici quelques exemples de la tentation de l’ordre : l’orateur qui s’accroche à un script, le militaire haut gradé qui élabore avec prudence des stratégies, l’écrivain qui s’isole des distractions, le politicien qui impose aux services publics des objectifs quantifiables, le patron qui insiste pour que tout le monde ait un bureau rangé…

Nous sommes à ce point séduits par les atours de l’ordre que nous n’apprécions plus les vertus de ce qui est «bordélique»: le désordonné, le non quantifié, le non coordonné, l’improvisé, l’imparfait, l’incohérent, le brut, l’encombré, l’aléatoire, l’ambigu, le vague, le difficile, le divers et même le sale. Le désordre peut encourager la créativité, renforcer la ténacité et en règle générale faire s’exprimer ce qu’il y a de meilleur en nous. 

En terme de créativité, le musicien, arrangeur et producteur Brian Eno – qui a travaillé avec David Bowie, U2, Coldplay, etc. – explique: « L’ennemi du travail de création, en fait, c’est la monotonie. Et son alliée, c’est la vivacité d’esprit. Je pense que ce qui vous rend vif, c’est d’être confronté à une situation où vous n’êtes pas forcément à l’aise, de sorte que vous devez être très attentif pour voir comment elle se déploie, afin d’être en mesure d’en garder la maîtrise. Une vivacité d’esprit de ce genre est passionnante. » Rien ne mobilise mieux l’attention que d’oser s’aventurer en terrain inconnu. 

Sauf que même si des perturbations, des situations qui nous mettent mal à l’aise, « nous aident à résoudre des problèmes, nous aident à devenir plus créatifs; nous n’en avons pas l’impression, » explique Tim Harford. « Nous pensons qu’elles nous ralentissent, et donc nous résistons. » Et de renchérir: « ce n’est pas parce que vous n’aimez pas quelque chose, que cela ne vous aide pas. »

Quand on voit un bureau mal rangé, on voit juste du désordre. On ne voit pas quelque chose qui fonctionne, Tim Harford 

L’histoire du Bâtiment 20 – situé au MIT (Massachusetts Institute of Technology), Etats-Unis. En 1943, Don Whiston, alors jeune architecte et ancien étudiant du MIT, reçoit un coup de téléphone de l’université: il doit, avant la fin de la journée, élaborer une ébauche de plan et un cahier des charges pour un bâtiment de 20 000 mètres carrés. Et c’est en quelques semaines que ce bâtiment, surnommé le Bâtiment 20 fut érigé. « Sans surprise, étant donné sa conception et sa construction précipitées, le Bâtiment 20 était un lieu de travail spartiate et peu confortable. Il y faisait trop chaud en été et trop froid en hiver, » explique Tim Harford. Il était sale, poussiéreux, et de l’extérieur il ne s’agissait que d’un long bâtiment rudimentaire de 3 étages. Et pourtant, ce bâtiment fut un espace des plus créatifs, et la liste des projets qui y furent élaborés est: première horloge atomique commerciale, un des premiers accélérateurs de particules, premières séries photographiques en stop-motion, premier jeu vidéo d’arcade, invention de l’email. Le bâtiment 20 fût également la résidence de travail du célèbre linguiste Noam Chomsky, et de bons nombres d’autres brillants chercheurs. « Tout cela se déroula dans une ambiance de chaos et désinvolture », assure Tim Harford.

Ce bâtiment avait une « propension à se faire rencontrer des personnes fortuitement ». À cause d’un système de numérotation des salles incohérent, les gens qui y travaillaient s’y perdaient constamment. Mieux encore, ces rencontres avaient lieu le plus souvent dans de longs couloirs où de vraies conversations pouvaient s’y développer. Ainsi, la rencontre d’ingénieurs électriciens et du club de modèle réduit de trains a donné jour au piratage informatique et aux jeux vidéo. Dans ce bâtiment si peu confortable, l’université a consciencieusement placé tout le personnel et les étudiants dans lesquels il croyait le moins. Réalisés en très peu de temps, les plans du bâtiment permettait d’offrir des espaces entièrement modulables et ce sans trop d’effort: abattre les cloisons, détruire le plafond, déplacer des prises, avoir accès à l’installation électrique, cela était à la portée de n’importe qui évoluant dans ce bâtiment. En plus d’évoluer dans un lieu aussi déroutant, les personnes qui travaillaient là-bas étaient libres d’aménager leur espace de travail comme elles le souhaitaient. » 

Souhaitant préserver ce dynamisme, le nouveau bâtiment qui remplace la Bâtiment 20 a été pensé comme un haut lieu de création. Tout a été pensé pour cela. Tout a été ordonné pour cela. Sans prendre en compte les aspirations de ceux qui y travaillaient.

Le désordre, tout comme l’ordre, n’est pas la solution. L’idée principale de Tim Harford est que plutôt que de vouloir à tout prix maintenir les choses en ordre, leur trouver un ordre, peut-être faut-il essayer d’embrasser notre chaos, de vivre avec notre désordre. De l’accepter. Les vertus du désordre ne résident pas tant dans le désordre lui-même, que dans ce qu’il révèle: une capacité à se laisser distraire, à se laisser surprendre, à s’adapter à de nouveaux contextes. Des traits de caractère qui sont autant de sources de créativité fructueuse.

Si vous êtes ordonnés, il n’y a pas de raison de devenir désordonnés. Et si ce n’est pas naturel pour vous d’être ordonnés, n’essayez pas de le devenir. Adaptez-vous, et, si cela est possible, ne succombez pas aux jugements, à la norme du rangement.

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